Philip K. Dick Extraits du texte d'introduction de la nouvelle Au temps de Poupée Pat (rédaction 1979)
Cette nouvelle m'est venue lors d'une brusque illumination, alors que je regardais mes enfants jouer avec des poupées Barbie. De toute évidence, ces poupées anatomiquement surdéveloppées n'étaient pas faites pour les enfants, ou du moins n'auraient pas dû leur être destinées. Barbie et Ken étaient des adultes en miniature. Au départ, il y avait l'idée qu'on devait constamment leur acheter de nouveaux vêtements s'ils devaient maintenir le niveau de vie auquel ils étaient habitués. J'avais des visions de Barbie entrant dans ma chambre la nuit en disant: "J'ai besoin d'un manteau de vison" Ou pis: "Alors, mon loup, ça te dirait d'aller faire un tour à Las Vegas dans ma Jaguar XKE?" J'avais peur que mon épouse ne nous trouve ensemble et ne m'abatte sur place.
Teddy on the beach
Le pyjama (home-made) d'Eddy
(...)Avram Davidson avait refusé ce texte pour Fantasy & Science-Fiction, mais il m'a dit plus tard, que s'il avait connu à ce moment-là l'existence des poupées Barbie, il l'aurait sans doute pris. Personnellement, je n'imaginais pas qu'on ne connaisse pas Barbie, moi qui devais faire continuellement face à ses coûteuses exigences vestimentaires. C'était d'ailleurs aussi difficile que de conserver mon téléviseur en état de marche; il lui manquait tout le temps quelque chose... comme Barbie. Je me suis toujours dit que c'était à Ken de pourvoir à sa garde-robe.
En ce temps-là -au début des années soixante-, j'écrivais beaucoup (...) Comme mon épouse ne voulait pas que je travaille à la maison, j'avais loué pour vingt-cinq dollars par mois un cabanon où je me rendais tous les matins. Nous habitions à la campagne (...) Je me sentais très seul ainsi bouclé dans ma bicoque. Ce qui me manquait, c'était peut-être Barbie, qui, elle, restait dans la grande maison avec les enfants. alors il se peut qu'"Au temps de Poupée Pat" soit un fantasme; j'aurais bien aimé voir Barbie -ou Poupée Pat, ou Copine Connie- se présenter sur le seuil.
(...)
Le Dieu venu du Centaure ( The three stigmatas of Palmer Eldrich, 1964, roman) est issu d'angoisses ataviques puissantes datant de ma petite enfance(...) J'ai trouvé dans la nouvelle "Au temps de Poupée Pat" le véhicule du fondement thématique sur lequel je voulais construire mon roman. Car, voyez-vous, Poupée Pat est l'éternelle belle qui invite, das ewige Weiblichkeit -l'éternel féminin comme dit Goethe. C'est l'isolement qui a engendré le roman, et la nostalgie qui a donné naissance à la nouvelle. Le roman est donc un mélange de peur -la peur d'être abandonné- et de fantasme- celui de la femme ravissante qui attend quelque part, Dieu seul sait où, malheureusement.
(...)
Sans doute est-ce ça la vie: ce qu'on craint le plus ne se produit jamais, mais ce à quoi on aspire le plus n'arrive pas non plus. C'est la différence entre la vie et la fiction. Sans doute est-ce mieux comme cela. Mais je n'en suis pas certain.
Comme le rédacteur en chef de Fantasy & Science Fiction, il est peut-être difficile de percevoir la réalité que traduisent le roman et la nouvelle, tant qu'on en n'a pas fait l'expérience. Malgré les souvenirs d'enfance, on sera tenté de ne voir dans Au temps de Poupée Pat que la description d'un monde à l'envers, où les adultes, reclus dans les abris sous-terrains passent tout leur temps à jouer avec leurs poupées, suscitant le mépris et l'incompréhension des enfants qui ne rêvent que de chasser le lapin en surface dans une nature désolée et post-apocalyptique -la Terre d'après la guerre- hantée par les chaiens, de dangereux chien-chats mutants. La subsistance est assurée par les Aidumanes (vaisseaux d'aide humanitaire pilotés par des martiens visqueux à huit tentacules) qui parachutent les denrées, entre autre force quantité de sel que les humains ne songent même plus à stocker.
Le titre, lui-même nostalgique, -c'était le bon temps- suggére qu'on se situe dans un après sans doute pis encore que celui de la désolation où toute trace végétale a disparu. Et, nous y voilà, sans en avoir clairement conscience, nous aussi nous vivons dans ces temps de catastrophe et de conflits qui mènent vers l'inéluctable fin de notre espèce. Les Teddys, Litos et autres Neds, refuges sous-terrains et supports de fantasmes, nous rappellent ce monde à jamais perdu, celui de la jeunesse, d'avant la semi-vie illusoire, où tout ce que nous désirions a cessé d'être possible:
Birthday
Norman Schein baissa les yeux sur les Modèles combinés, avec ses boutiques tapageuses, ses rues bien éclairées bordées d'automobiles dernier cri à la carrosserie étincelante, la maison sur deux niveau où vivait Poupée Pat et où elle recevait Leonard, son petit ami. c'était cela qui lui faisait le plus envie : la maison; elle était le véritable centre du Modèle - de tous les Modèles, si dissemblables soient-ils par ailleurs.
La garde-robe de Poupée Pat, par exemple, rangée dans la gigantesque penderie de la chambre à coucher, l'énorme penderie de la chambre à coucher. Ses pantalons en lamé, ses shorts ultra-courts en coton blanc, son maillot deux pièces à pois, ses pulls mousseux... Et à côté la chaîne haute-fidélité, la collection d'enregistrement longue durée...
Ils avaient connu cela, autrefois; oui, il en était exactement ainsi dans l'ancien temps.(...)
En ce temps-là, se dit-il, on vivait comme Poupée Pat et Leonard aujourd'hui. C'était à cela que ressemblait l'existence.(...) Jouer à ce jeu, c'est comme si on retournait là-bas, dans le monde d'avant la guerre. Oui, c'est pour ça qu'on y joue.
Incidemment, les gens de l'Abri entendent la rumeur que dans un abri beaucoup plus grand situé sur l'emplacement d'Oakland (très loin, à plus de 25 km) on ne connaît pas Poupée Pat, mais qu'on joue à Copine Connie avec son petit ami Paul. C'est le début de l'odyssée qui conduit à une partie dont l'enjeu seront les poupées elles-même.
Cette nouvelle m'est venue lors d'une brusque illumination, alors que je regardais mes enfants jouer avec des poupées Barbie. De toute évidence, ces poupées anatomiquement surdéveloppées n'étaient pas faites pour les enfants, ou du moins n'auraient pas dû leur être destinées. Barbie et Ken étaient des adultes en miniature. Au départ, il y avait l'idée qu'on devait constamment leur acheter de nouveaux vêtements s'ils devaient maintenir le niveau de vie auquel ils étaient habitués. J'avais des visions de Barbie entrant dans ma chambre la nuit en disant: "J'ai besoin d'un manteau de vison" Ou pis: "Alors, mon loup, ça te dirait d'aller faire un tour à Las Vegas dans ma Jaguar XKE?" J'avais peur que mon épouse ne nous trouve ensemble et ne m'abatte sur place.
Teddy on the beach
Le Barbare de Paul (v1.0) 
Le pyjama (home-made) d'Eddy(...)Avram Davidson avait refusé ce texte pour Fantasy & Science-Fiction, mais il m'a dit plus tard, que s'il avait connu à ce moment-là l'existence des poupées Barbie, il l'aurait sans doute pris. Personnellement, je n'imaginais pas qu'on ne connaisse pas Barbie, moi qui devais faire continuellement face à ses coûteuses exigences vestimentaires. C'était d'ailleurs aussi difficile que de conserver mon téléviseur en état de marche; il lui manquait tout le temps quelque chose... comme Barbie. Je me suis toujours dit que c'était à Ken de pourvoir à sa garde-robe.
En ce temps-là -au début des années soixante-, j'écrivais beaucoup (...) Comme mon épouse ne voulait pas que je travaille à la maison, j'avais loué pour vingt-cinq dollars par mois un cabanon où je me rendais tous les matins. Nous habitions à la campagne (...) Je me sentais très seul ainsi bouclé dans ma bicoque. Ce qui me manquait, c'était peut-être Barbie, qui, elle, restait dans la grande maison avec les enfants. alors il se peut qu'"Au temps de Poupée Pat" soit un fantasme; j'aurais bien aimé voir Barbie -ou Poupée Pat, ou Copine Connie- se présenter sur le seuil.
(...)
Le Dieu venu du Centaure ( The three stigmatas of Palmer Eldrich, 1964, roman) est issu d'angoisses ataviques puissantes datant de ma petite enfance(...) J'ai trouvé dans la nouvelle "Au temps de Poupée Pat" le véhicule du fondement thématique sur lequel je voulais construire mon roman. Car, voyez-vous, Poupée Pat est l'éternelle belle qui invite, das ewige Weiblichkeit -l'éternel féminin comme dit Goethe. C'est l'isolement qui a engendré le roman, et la nostalgie qui a donné naissance à la nouvelle. Le roman est donc un mélange de peur -la peur d'être abandonné- et de fantasme- celui de la femme ravissante qui attend quelque part, Dieu seul sait où, malheureusement.
(...)
Sans doute est-ce ça la vie: ce qu'on craint le plus ne se produit jamais, mais ce à quoi on aspire le plus n'arrive pas non plus. C'est la différence entre la vie et la fiction. Sans doute est-ce mieux comme cela. Mais je n'en suis pas certain.
I travelled the world and the seven seas
Comme le rédacteur en chef de Fantasy & Science Fiction, il est peut-être difficile de percevoir la réalité que traduisent le roman et la nouvelle, tant qu'on en n'a pas fait l'expérience. Malgré les souvenirs d'enfance, on sera tenté de ne voir dans Au temps de Poupée Pat que la description d'un monde à l'envers, où les adultes, reclus dans les abris sous-terrains passent tout leur temps à jouer avec leurs poupées, suscitant le mépris et l'incompréhension des enfants qui ne rêvent que de chasser le lapin en surface dans une nature désolée et post-apocalyptique -la Terre d'après la guerre- hantée par les chaiens, de dangereux chien-chats mutants. La subsistance est assurée par les Aidumanes (vaisseaux d'aide humanitaire pilotés par des martiens visqueux à huit tentacules) qui parachutent les denrées, entre autre force quantité de sel que les humains ne songent même plus à stocker.
Le titre, lui-même nostalgique, -c'était le bon temps- suggére qu'on se situe dans un après sans doute pis encore que celui de la désolation où toute trace végétale a disparu. Et, nous y voilà, sans en avoir clairement conscience, nous aussi nous vivons dans ces temps de catastrophe et de conflits qui mènent vers l'inéluctable fin de notre espèce. Les Teddys, Litos et autres Neds, refuges sous-terrains et supports de fantasmes, nous rappellent ce monde à jamais perdu, celui de la jeunesse, d'avant la semi-vie illusoire, où tout ce que nous désirions a cessé d'être possible:
Birthday
Nouveau jouet 
Norman Schein baissa les yeux sur les Modèles combinés, avec ses boutiques tapageuses, ses rues bien éclairées bordées d'automobiles dernier cri à la carrosserie étincelante, la maison sur deux niveau où vivait Poupée Pat et où elle recevait Leonard, son petit ami. c'était cela qui lui faisait le plus envie : la maison; elle était le véritable centre du Modèle - de tous les Modèles, si dissemblables soient-ils par ailleurs.
La garde-robe de Poupée Pat, par exemple, rangée dans la gigantesque penderie de la chambre à coucher, l'énorme penderie de la chambre à coucher. Ses pantalons en lamé, ses shorts ultra-courts en coton blanc, son maillot deux pièces à pois, ses pulls mousseux... Et à côté la chaîne haute-fidélité, la collection d'enregistrement longue durée...
Ils avaient connu cela, autrefois; oui, il en était exactement ainsi dans l'ancien temps.(...)
En ce temps-là, se dit-il, on vivait comme Poupée Pat et Leonard aujourd'hui. C'était à cela que ressemblait l'existence.(...) Jouer à ce jeu, c'est comme si on retournait là-bas, dans le monde d'avant la guerre. Oui, c'est pour ça qu'on y joue.
Incidemment, les gens de l'Abri entendent la rumeur que dans un abri beaucoup plus grand situé sur l'emplacement d'Oakland (très loin, à plus de 25 km) on ne connaît pas Poupée Pat, mais qu'on joue à Copine Connie avec son petit ami Paul. C'est le début de l'odyssée qui conduit à une partie dont l'enjeu seront les poupées elles-même.
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